Dans l’intense chaleur de cet été 1914, la
campagne bettonnaise s’active. Comme dans tout le monde rural, les
préoccupations sont locales. On coupe, on brasse les gerbes et on
charge les récoltes. Tout en spéculant sur le prix du grain, on
organise les battages. Et déjà, on se réjouit des fêtes qui ne
manqueront pas de suivre. C’est également cette année là que l’on
essaie les premières batteuses venues d’Amérique. La moisson
apparaît prometteuse. Accaparé par une tâche harassante, le milieu
agricole ne s’inquiète pas trop des bruits de bottes qui martèlent l’Europe
centrale. Si l’assassinat de Jean Jaures a déstabilisé le microcosme
politique et syndical, il ne modifie en rien les rites ancestraux.
Dans notre Bretagne péninsulaire, excentrée du
vieux continent, l’attentat de Sarajévo est apparu comme une anecdote
dont seuls les politiques et les militaires mesurent les conséquences.
Ainsi, ce n’est pas sans surprise que le 1 août,
vers 17h30 les bettonnais entendent les cloches sonner le tocsin. C’est
la guerre. Lorsque le tambour du garde champêtre annonce l’ordre de
mobilisation générale, c’est d’abord l’incrédulité. Puis aussi
vivement qu’une traînée de poudre la nouvelle atteint les hameaux
les plus éloignés. On se précipite au bourg pour voir et lire l’affiche
placardée place du vieux marché sur une maison en face de l’église.
Passé l’étonnement, c’est l’inquiétude et la consternation qui
atteignent toute la population. Si certains ne veulent pas y croire, c’est
pour refuser une douloureuse réalité. Et puis la résignation s’installe.
Retournant finir le travail un temps abandonné, chacun, dans le cadre
familial tente d’organiser la maisonnée et les taches à venir. Le
lendemain, aux trois messes empreintes d’une grande émotion, recteur
et vicaires donnent conseils et assistance à tous ceux qui doivent
quitter leur famille. Des médailles miraculeuses sont distribuées à l’issue
de la cérémonie religieuse.
Pendant ce temps là, à Rennes et dans quelques
autres villes, la bourgeoisie nationaliste manifeste sa satisfaction à
l’occasion des défilés militaires du 1er Août. Si
quelques hommes du peuple se joignent à eux, c’est sans doute pour se
convaincre d’un conflit rapide. Leur béate confiance en l’Armée
Française suffit à les nourrir de l’assurance d’une victoire
expéditive. Les femmes, plus réalistes, tentent de s’accommoder d’un
avenir d’incertitudes et de responsabilités.
La réussite de la mobilisation générale est
présentée comme une première victoire. Le 6 Août, le journal
Ouest-Eclair relate dans ses colonnes le départ du 41 ième
R.I.. Le moral d’une troupe peu aguerrie, convaincue de victoires
glorieuses marchant vers les champs de batailles ne répond pas
réellement aux descriptions martiales données à cette époque. En
fait, ils ne sont pas les plus nombreux ceux qui défilent la fleur au
fusil et le sourire aux lèvres. Les campagnes se vident. Avec les
hommes s’en vont les chevaux. Les femmes, les filles, les enfants et
les anciens devront suppléer à l’absence des bras et des bêtes.
Malgré quelques difficultés à s’en convaincre, chacun se
rassure : « ça ne sera pas long. »
Mais lorsque l’automne 1914 arrive, l’illusion s’est
envolée. La guerre sera longue. Elle sera très longue et meurtrière.
Les ponctions dans la population ont été d’une
telle ampleur que chaque famille est concernée. C’est un père, un
mari, un fils ou un frère qui est parti là-bas très loin dans l’Est.
Pour beaucoup de ces jeunes hommes qui n’avaient jamais quitté le
territoire communal, cette migration guerrière prend l’allure d’un
périple de l’extraordinaire. Une liste dressée en 1919 fait état
des hommes mobilisés résidants à Betton. Sur 243 noms recensés, 145
sont originaires de la commune. Les autres y sont arrivés par mariage
ou pour des raisons professionnelles. Ce document confirme l’ampleur
du prélèvement effectué parmi la population masculine. Jeunes et
moins jeunes, sont touchés par la mobilisation générale. Henri Buis,
qui trouve la mort le 25 août 1914 à Merville dans le Meuse, vient d’atteindre
ses dix huit ans. Lorsque Thomassin René décède de ses blessures en
1915, il a quarante sept ans. Certains des plus âgés qui avaient été
mobilisés dans les premières heures seront libérés assez vite.
Epuisés par une guerre de positions qui n’en finit pas, en 1918, les
belligérants jettent leurs dernières réserves dans la bataille.
Affublés du sobriquet des ’’Marie-Louise’’, de jeunes recrues,
tout juste âgées de leur dix-huit ans, partent vers les zones de
combats. Pour une communauté de l’ordre deux mille âmes, c’est
près d’un huitième de celle-ci qui va quitter la commune. L’observation
des tranches d’âge révélées par la liste permet d’évaluer à ¾
d’entre eux les chefs de famille mobilisés.
Les hommes soustraits à Betton vont se trouver
incorporés en masse dans des régiments d’infanterie. Quelques-uns
rejoindront des unités du Génie ou de l’Artillerie. Plus rares
seront ceux dirigés vers des sections d’infirmiers militaires. Mais
tous seront en prise directe avec les événements.
Alors pour les familles, ballottées entre l’espérance
heureuse d’une lettre et l’angoisse de la mauvaise nouvelle , l’insoutenable
attente s’installe. Puis viendront les premiers avis de décès,
accompagnés de la mention ’’Mort pour la France’’. Mais en l’absence
des dépouilles restées là-bas, le rituel funéraire se réduit au
minimum. Malgré un profond ancrage dans les esprits et les coutumes, la
mort devient quelque chose de mal défini, parfois mêlé à un espoir
irrationnel. Alors l’attente, la longue attente reprend. Elle ne
cessera qu’au printemps 1919 pour certains et parfois tristement plus
tôt pour les autres. Les familles restées au pays ne peuvent imaginer
l’enfer des champs de batailles. Les nouvelles sont rares et
laconiques. Afin de maintenir le moral de ’’l’arrière’’, le
gouvernement et les autorités militaires d’alors contrôlent la
presse et filtrent le courrier. Ne voulant pas inquiéter les siens
restés au pays, le soldat parle très peu de la vie au front.
Si le respect et la discrétion interdisent de
reproduire intégralement ici la lettre d’un bettonnais écrite à sa
jeune femme Marie, dans ce document daté du lundi 14 Septembre 1914, on
y lit beaucoup d’amour pour les siens. Au travers toutes les lignes,
on découvre un père plus soucieux de ses quatre enfants (Louisette,
Joseph, Geneviève et Marie-Ange) que de son propre sort. « Chère
famille qu’il sera doux d’être réuni... ». Ses
incertitudes et ses craintes disparaissent derrière un abandon
religieux. Aucune allusion n’est faite aux conditions qui sont les
siennes. L’inébranlable foi affirmé dans le texte ne peut justifier
à elle seule les silences sur la chose militaire. Un seul passage
signale la rencontre de ’’pays’’ sur le front. Il nous apprend
entre autre que les deux frères Juet ’’doivent être blessés un
peu aux jambes... ’’ plus loin, parlant d’un ecclésiastique
proche, il raconte : « L’abbé m’a écrit une jolie
lettre, il est si aimable. Je crains bien qu’il ne soit accepté
bientôt, pour soigner les blessés, car on ne fait pas des omelettes
sans casser des œufs ». Bien que cette métaphore hélas trop
réaliste ne suffise pas à décrire la réalité des combats, on y
devine un certain fatalisme.
Sur un carnet de route, tenu journellement par un
soldat de Betton, des passages insoutenables marquent certaines
journées d’Août 1914. Arrivant à Soisy aux Bois avec un groupe de
ravitaillement, il décrit les scènes suivantes : ’’... il
faut vraiment avoir le cœur en place pour ne pas rendre son café, c’est
surtout les chevaux qui empestent l’air car je crois que cela fait
quatre jours que le combat a eu lieu.... Quant à nos potes, en passant
le long de la route, j’ai bien vu une soixantaine des notres tués,
quel spectacle vraiment terrifiant que ces hommes frappés en pleine vie
et cherchant au moment supérieur du coup fatal, à se rattraper à la
vie. Les uns tiennent une poignée d’herbe dans leur main crispée, un
autre tient son mouchoir pour épancher sa blessure et presque tous les
yeux grands ouverts, la bouche ouverte... J’ai remarqué aussi un
allemand paraissant au plus dix huit ans, adossé dans le fond d’un
fossé de la route au talus voisin qui tenait sa chemise relevée et la
tête baissée pour regarder ses blessures, trois balles avaient troué
sa poitrine... Je n’ai pu prendre aucun repas de la journée, l’odeur
me revenant toujours en me forçant presque à vomir...’’. C’est
par la lecture de ce document découvert bien après la guerre que les
descendants de cet artilleur apprendront les réalités quotidiennes d’un
soldat.
Sur tous les champs de bataille, Betton laissera un
ou plusieurs des siens. De la Meuse au Pas de Calais (Verdun, Chalande,
Couray, Roclincourt, etc...) des familles, connues ou anonymes
marqueront cette terre du sang des leurs. Certains trouveront la mort en
Belgique (Auvalais, Boesinghe, Vitton). D’autres encore un temps
épargnés, agoniseront dans les hôpitaux militaires (Gueux, Bar le
Duc). Trois d’entre-eux, rapatriés, s’éteindront à l’hôpital
militaire de Rennes.
Parmi ceux qui ne reviendront pas, deux ont moins de
20 ans ; Trente quatre se situent entre 20 et 30 ans ; Vingt
deux entrent dans la tranche d’âge des 30-40 ans et cinq dépasse la
quarantaine.
Rares seront les soldats morts dont le corps
reviendra au pays. Parmi ceux-là, on peut citer Pierre Lorandel de la
Levée. Décédé des suites de ses blessures à l’hôpital de
Sancerre, sa dépouille fut rapatriée le 3 décembre 1917.
Très vite, pour participer à l’effort de guerre,
le monde rural est mis à contribution. Les réquisitions de fourrage et
de blé, l’enrôlement des forgerons, des charrons, des bourreliers et
autres métiers nécessaires à l’intendance d’une armée en ordre
de marche, saignent littéralement les campagnes. Pour cette agriculture
non mécanisée, les quelques permissions accordées aux mobilisés ne
suffisent pas à réduire le poids d’un travail abandonné aux
populations restantes. Les rares prisonniers de guerre allemands ne
parviennent pas à suppléer aux bras manquants. Les rendements s’en
ressentent. On voit même les enfants de l’école publique,
accompagnés de leur maître, participer au ramassage des pommes dans
les fermes autour du bourg. Bien vite, le rationnement apparaît. Le
sucre, le sel, le tabac, le pétrole, etc... sont distribués avec
parcimonie. Comme le reste de la Bretagne la campagne bettonnaise va
vivre en état léthargique. Contrainte, la petite citée doit s’adapter
à une économie de guerre. On verra quelques plants de tabac fleurir au
fond des jardins potagers. Malgré cela, et pour le bien des populations
restantes, le 14 novembre 1915, le Conseil Municipal, sous la
présidence de Mr Priour le maire, décide de demander la
démobilisation du soldat territorial Day, maréchal-ferrand de son
état. L’absence de ce dernier se fait lourdement ressentir dans une
population essentiellement tournée vers l’activité rurale. Pourtant
cette démarche restera vaine.
Francis avait quatre ans au début du conflit. Il se
souvient :
« A cette époque, Betton ne comptait que
deux voitures automobiles. Celles du docteur Houé et de M. Sévin le
notaire. De toute façon, y avait pas beaucoup d’essence, mais ça ne
gênait pas, puisque la plupart se déplacait en vélo à cheval ou à
pied. On n’avait pas peur de marcher dans ce temps là. »
« Des nouvelles du front, on en n’avait qu’avec
le journal. Après la journée, le soir, ma mère nous lisait les
nouvelles. Avec mon frère Eugène, il ne fallait pas bouger. Le voisin
qui ne savait pas lire venait toujours écouter les informations. »
« Oh, le rationnement ne gênait pas trop. On
avait tout ce qu’il fallait dans le jardin pour se nourrir. Ah !
pour ceux qui fumaient c’était pas pareil quand il allait acheter
leur tabac. Ils allaient chez Madame Tardivel. Elle avait une petite
boutique juste en haut de l’escalier du bourg. Il y avait de tout chez
elle ! A ceux qui voulait du tabac, la mère Tardivel en donnait
pour cinq sous, cinq sous seulement. Personne n’avait le droit à
plus. Des fois ça ne marchait pas tout seul ! Si bien qu’on l’avait
baptisée la mère cinq sous. »
« Pour nous les enfants, la guerre ne
changeait pas grand chose. On jouait aux canettes (billes) et on allait
à la pêche. Jamais il ne nous venait l’idée de jouer à la guerre. »
Lorsque le Maire de la commune est mobilisé, c’est
son premier adjoint Maître Sévin qui prend en main le destin de la
petite cité. Il voit sa fonction municipale augmentée de tâches
multiples et indispensables à la vie de la communauté. Chargé de
veiller au bon versement de l’allocation militaire octroyée à la
famille des mobilisés, il participe activement aux oeuvres de
bienfaisance mises en place pour soutenir ceux du front. Si la démarche
la plus pénible est toujours celle d’aller avertir les familles de la
mort d’un proche, il est généralement accompagné par un des
prêtres de la paroisse. Ces derniers ne ménagent ni leur temps ni leur
santé pour assister les familles en deuil ou remonter le moral de ceux
aux prises avec cette insoutenable attente.
Dès le début de la guerre, en l’absence d’un
mari ou d’un fils, des familles, fuyant l’avancée allemande dans le
nord de la France, viennent chercher asile dans nos contrées. Comme les
communes voisines, Betton reçoit ceux qu’on appelle ’’les
réfugiés’’. Madame Rousseau de Cambrai s’installe au bourg. La
Vallée héberge madame Trinel et ses cinq enfants. Arrivée de Lens
(59) avec ses quatre enfants, madame Lepot rejoint également ce lieu.
Bien d’autres, comme les Coffiaux, les Broyer, les Petit, les Dhaussy
ou les Déblois suivront. Dans la solidarité, on ne compte plus le
nombre de ces déracinés qui arrivent. Au hasard des documents
administratifs, on apprend que mademoiselle Delagrange Lucienne, venue
des environs de Fourmies (59) autorisée à se fixer à Betton, donne
naissance le 9/11/1917 à un garçon prénommé Marcel. Oubliant un
instant son propre malheur, Betton et les siens accueillent ceux qui n’ont
plus rien.
Dans cette séquence de vie mise entre parenthèses
et malgré un éloignement des zones de combats, Betton vit sa propre
guerre. Déjà à cette époque on craint les attaques aériennes dans l’arrière
pays. Plus que d’une aviation au rayon d’action limitée, ce sont
les zeppelins qui sont redoutés. Leurs bombardements sur Londres ont
frappés les esprits. Le bourg se trouve donc doté d’une batterie de
projecteurs placée au centre de l’agglomération. Manoeuvrée par des
militaires, elle est installée en face du cimetière, juste derrière
le cinéma actuel. Quelques uns gardent encore parmi leurs souvenirs d’enfance
l’image de ces longs faisceaux lumineux qui au moindre bruit suspect
se mettent à fouiller l’obscurité du ciel.
Durant toute la guerre et les années qui suivront,
répondant à une action propagandiste soutenue par le gouvernement d’alors,
de nombreux documents viendront rassurer les populations. A travers les
journaux, les affiches ou les cartes postales, en exaltant l’esprit
patriotique, on s’applique à obtenir un accord consensuel sur l’aventure
guerrière. Lorsque parlant des soldats, le quotidien local Ouest-Eclair
les décrit comme :’’les braves piou-piou partant défendre
leur patrie’’ Ces propos qui, aujourd’hui, peuvent surprendre
doivent être replacés dans le contexte de l’époque.
A partir de 1917, les Américains, débarqués à
Brest, traversent la Bretagne pour rejoindre le front. Certaines unités
passent et parfois s’arrêtent un bref instant sur la commune. Francis
se souvient encore de ces premiers soldats noirs. « Ils
étaient très grands. Les gens qui voyaient pour la première fois des
hommes noirs avaient peur. Avec leurs camions aux pneus pleins, des
bandages, ils filaient vers l’Est sur des routes chaotiques. »
Venant rajouter à ce fléau qu’est la guerre, dans
le courant 1918, la grippe espagnole qui fait des ravages n’épargne
pas Betton. Le docteur Houé s’épuise dans une course contre l’épidémie.
Et comme tout va décidément très mal cette année là, c’est un
hiver sibérien qui s’abat sur la campagne. Tout est gelé. La neige
qui s’est installée durant plusieurs semaines prend la campagne à l’improviste.
Les bêtes n’ont plus de fourrage. Le moral est au plus bas, mais il
faut survivre. Alors on pense à ceux qui sont là-bas.
Si aucune autre fête que les cérémonies
religieuses n’est venu animer de temps à autre une communauté toute
accaparée à sa subsistance, dès le retour des derniers survivants au
printemps 1919, dans une grande parodie de lynchage, Betton laisse
éclater sa joie. Spontanément, un défilé s’organise derrière une
charrette portant deux mannequins : celui de Guillaume II
accompagné du Kayser. Après les avoir promenés tout l’après-midi
dans le bourg, ils finissent sur un bûcher dressé à l’emplacement
de la Mairie actuelle. Comme pour exorciser ses peurs, dans la liesse
générale, Betton se libère.
Dès leur retour les hommes se mettent au travail. N’abordant
que très rarement leurs souvenirs guerriers en famille, ils ne
tarissent pas d’anecdotes et de récits lorsqu’ils se retrouvent
entre-eux. De cette expérience qu’ils ne peuvent partager avec
personnes d’autres que des ’’poilus’’, va se développer une
solidarité nécessaire à l’évacuation de leurs propres
traumatismes. Ces regroupements spontanés donneront très vite
naissance à un mouvement associatif : l’Union des combattants. A
Betton, si Lucien Clément est à l’origine de la section locale, son
premier président en sera Pierre Ferré de la Plesse. Puis Pierre
Lebreton, Joseph Guérin et bien d’autres lui succèderont.
Le 23 avril 1920, une plaque de marbre placée dans l’église
est offerte par les paroissiens Elle sera solennellement bénie par Mr
Gayet, Vicaire Général. Le même jour, Mr Delahaye directeur du
Nouvelliste de Bretagne, invité par l’Union des Combattants fit,
devant un auditoire clairsemé sur la place de l’église, un discours
sur les leçons à tirer de la Grande Guerre. A cette occasion, il
souligne la nécessité pour les survivants de se regrouper et de se
soutenir dans le cadre d’une vaste association. Le mouvements des
Anciens Combattants était déjà en marche.
Le 6 février 1921, le Conseil Municipal décide la
construction d’un monument aux morts. Un budget de 12 000 fr est
inscrit pour cette opération. C’est à Mr Savinet, granitier à Saint
Aubin du Cormier que revient sa réalisation. Dans sa commande la
municipalité souhaite une stèle de granite avec piedestal sur lequel
seront inscrits en lettres d’or les noms des habitants de la commune
morts pour la France. Un plan accompagne le bon de commande. La pierre
commémorative sera placée près de l’église. Lors de la séance du
30 avril suivant, Mr Auffray alors maire, propose aux élus d’entreprendre
une démarche auprès du gouvernement pour obtenir quatre obusiers
destinés à encadrer la stèle. Elle doit être érigé en Juin de
cette même année. Une première réponse du Sous-secrétariat d’Etat
à la liquidation des stocks (Ministère des Finances) en date du mois
de Mai propose deux mortiers de campagne allemands et quatre obus de 270
ou 280. Si les mortiers seront à prendre au Parc d’artillerie de
Vincennes, les munitions neutralisées seront à récupérer dans les
ateliers de construction de Rennes (l’Arsenal). Après bien des
courriers avec le colonel Florentin commandant le parc de Vincennes,
seuls quatre obus de 270 mm seront acquis pour la sommes de 580f.
Assemblés par des chaînes, ils viendront matérialiser l’espace
réservé au monument alors situé entre l’église et l’école
privée. L’inauguration aura lieu le 17 juillet 1921 en présence de Mr
Lefoul, du Colonel Moinet représentant le général commandant la place
de Rennes, du Curé Doyen de Notre Dame de Rennes et de Mr
Brager de la Villemoisan sénateur. A cette occasion le centre bourg, le
Parc et le Placis Carel seront magnifiquement décorés. La pierre
commémorative qui compte 82 noms doit être complétée par la liste de
ceux figurant sur la plaque accrochée dans le mur de l’église
paroissiale. A ce triste total de 96 patronymes, il aurait fallu ajouter
quelques autres soldats dont le sort et l’identité ne furent connus
que bien tardivement.
Dressée depuis plus de soixante ans dans la partie
ancienne du centre bourg, la pierre sera transportée en 1984 sur la
place de la nouvelle mairie.
Quatre vingt années après cette tragique épopée,
que reste-t-il dans les mémoires ? Sinon le sentiment d’un
gâchis considérable. Toutes ces vies arrêtées, toutes ces familles
déstabilisées, déstructurées pour des causes qui se sont égarées
dans les méandre de la mémoire collective. Sans jamais avoir voulu
être des héros, par leur courage et leurs souffrances, ils se sont
contentés d’être des hommes qui nous guident encore aujourd’hui
sur les chemins de l’honneur et de la dignité.