Joseph G. meunier de mon état

 

Marie a six ans. Le moulin ne ressemble plus tout à fait à l'image qu'elle se faisait des moulins.

François le meunier est occupé à couper du bois aux abords de son "usine". Malgré les couleurs chatoyantes, c'est vrai, son moulin ne ressemble plus tout à fait à un moulin.

« Dit, monsieur, c'est toi le meunier? Mais il ne tourne plus ton moulin! »

« Non petite fille, aujourd'hui la farine est fabriquée dans de grandes usines, des minoteries industrielles. »

« Comment t'es devenu meunier? C'était dur? Tu aimais bien ton métier? Raconte moi le moulin. »

« Alors que les bruits de la première guerre mondiale s'estompaient, ma jeunesse passée dans la Mayenne, s'emplissait du rythme d'un moulin. A quelques pas de la maison de mon enfance, comme posé sur un lit de verdure au bord d'un cours d'eau, le moulin s'imposait. C'était décidé, je serai meunier.

Lorsque je pénétrais comme apprenti dans le moulin d'Aron, peu importe si mon premier travail se limitait au nettoyage des sacs, dans toute la fierté de mon adolescence, j'étais déjà meunier. Le moulin d'Aron fabriquait du tan* pour les tanneries. Avec ses 18 000 quintaux produits par an c'était une grosse usine. La guerre 39-45 ayant accaparé tous les hommes valides, me voilà très vite en responsabilité de la mouture.

Mais posséder son propre moulin, un rêve, une ambition qui se concrétisait le 18 juin 1949. Je devenais propriétaire du moulin de Betton. Dépendant du rythme de saisons, lorsque le niveau de l'eau le permettait, on travaillait généralement de 7 h à 19 h. Le blé fourni provenait de la coopérative. On faisait 11 680 quintaux par an pour le département. Les agriculteurs avaient le droit de faire moudre 3 quintaux par personne et par an pour leur usage personnel. »

« Tu dis que t'avais des problèmes avec l'eau? »

« Ah oui, c'est vrai le niveau de l'eau était toujours un problème. Quand on levait trop les vannes les champs plus haut se trouvaient inondés. Et si on les baissait trop, les péniches ne pouvaient plus naviguer. Alors il fallait toujours faire attention. »

« Comment que tu faisais de la farine avec ton moulin? »

« Quand le grain arrivait, après un premier nettoyage, il montait par des chaînes à godets au niveau supérieur. Là il était à nouveau nettoyé avant d'être moulu. Lorsqu'il était trop sec, le blé était mouillé afin que le son ne jaunisse pas la farine. Ensuite, il rentrait dans une série de "convertisseurs cannelés". Il fallait quatre broyages et finir par un "convertisseur lisse" pour obtenir de la belle farine. Ensuite, la farine descendait dans une chambre spéciale avant d'être mise en sac. Elle en contenait 100 quintaux. »

« Mais il marchait comment ton moulin, est-ce qu'il avait des grosses meules? »

« Lorsque je suis arrivé ici les grandes meules de pierre avaient déjà été remplacées par les convertisseurs. Et, pour compléter la puissance et l'irrégularité hydraulique, le moulin équipé d'un moteur à vapeur utilisait le charbon. Mais on avait des problèmes avec le charbon. Et quelque fois, on entendait le moteur ralentir. Alors il fallait se presser de relancer la machine. C'est pourquoi on s'est très vite équipé d'un moteur diesel. »

« Qu 'est-ce qui était le plus dur dans ton métier? »

« Le plus dur c'était de monter les sacs dans les boulangeries quand on livrait. Certains meuniers avaient fini par mettre la farine en sacs de 50 kg. Mais moi j'ai toujours préféré livrer des sacs de 100 kg, comme ça on montait deux fois moins dans les étages. C'était sûrement le plus pénible car les escaliers étaient toujours tordus et pas faciles. »

« Est-ce que c'était dangereux comme travail de s'occuper du moulin? »

« Il fallait pas se faire prendre par une courroie. On a vu des accidents, j'ai un copain qui s'est fait arraché le bras. Mais c'était très rare.»

« Quand ton moulin s'est-il arrêté définitivement ? Pourquoi on n'a pas continué à refaire tourner? »

« J'ai eu des ouvriers et des apprentis. Nos enfants nous ont aidé aussi. Mais pour supprimer la concurrence, les grandes minoteries rachetaient tous les moulins. Alors le métier devenait trop dur et personne ne souhaitait poursuivre dans ces conditions là. Alors le moulin s'est arrêté définitivement en 1972. »

« Il est quand même beau ton moulin, le voudrais bien y habiter. »

L. 0. L.

*Tan: écorce d'arbres broyée utilisée pour la tannerie des peaux.

Les Chemins de la Mémoire

Sur les chemins de la mémoire - Betton
http://cheminsdelamemoire.free.fr 

Dernière mise à jour : 19 mai 2003