Une histoire d'eau
Le coucou a sonné le lever depuis
plus d'une heure. Le bruit du marteau sur l'enclume de la forge résonne
dans un froid matinal. Ces dernières gelées paraissent engourdir le
bourg. Sous les premiers rayons du soleil, des brumes légères montent
de la rivière. C'est une journée de mars qui débute. C'est le temps
des grandes lessives.
Le grincement d'une brouette
cadencé par le martèlement d'une paire de sabots descend la côte.
" Alors Louis, déjà à l'enclume ce matin."
Les bruits se sont arrêtés un
instant.
"holla la Maria, tu vas
tremper tes mains dans la glace?"
"Oh ! Ça va à s't’heure
qu'on a un nouveau lavoir. On peut travailler à l'abri.
"Y z'ont mis l'temps à
s'décider dit donc!"
Dans son grincement, la brouette
reprend sa route. Elle est chargée d'un monceau de linge sur lequel la
caisse et le battoir tiennent en équilibre. L'enclume retrouve le
rythme régulier du marteau. Cette image un instant figé s'intègre
parmi les autres bruits de la petite localité.
C'est pourtant vrai qu'il a une
histoire ce lavoir.
Constatant l'absence de lavoir
communal, le ler septembre 1912, le Maire et son Conseil
municipal décident d’entreprendre des pourparlers avec les
propriétaires pour une cession d’un terrain affecté à ce projet.
Deux emplacements sont retenus: celui que l'on connaît actuellement et
une dépression plus en arrière dans la prairie.
Le premier conflit mondial va
reléguer cette intention à l'arrière plan des préoccupations du
moment. Et, c'est seulement le 3 mars 1929 qu'une décision du Conseil
donne pouvoir au Maire pour la construction. Quatre mois plus tard, le
28 juillet, une délibération demande à l'agent voyer* de St Aubin
d'établir un plan du lavoir public. Le travail commencera après une
décision prise en septembre d'exonérer l'agent vover de
responsabilité décennale.
Le 24 août 1930, après le souhait
formulé par le conseil de quelques modifications, il est décidé d’un
emprunt amortissable sur 30 ans. Les sommes empruntées serviront à la
construction du chemin de la Tertrais, du lavoir et à l'agrandissement
de l'école par une quatrième classe.
M. Launuzel, architecte, présente
le 31 octobre 1930 ses plans et devis. Le coût de la construction est
estimé à 31 000 Fr. Après une délibération le Conseil accepte le
projet. La décision de contracter un emprunt de 66 000 FR est prise le
21 février 1931. Ce prêt effectué au taux de 5% auprès de la Caisse
Régionale des Retraites sera utilisé pour 31000 FR pour le lavoir et
35 000 FR pour le chemin de la Tertrais.
Le 10 avril 1932, la décision d’acquérir
un terrain pour le lavoir et ses dépendances est prise. Quatre mois
plus tard l'approbation de l'achat à M. le Vicomte Du Fou de Kerdaniel,
habitant Hillion dans les Côtes du Nord est votée. Les 207,92 m2
sont acquis pour la somme de 2079,20 Fr.
Les travaux seront effectués par
l'entreprise générale R. Novello de Rennes. Maîtrisant la fabrication
et la mise en oeuvre du béton, elle sera préférée à l'entreprise
Morin L. de Betton qui proposait une structure de bois.
Au bas du plan et métré de
l'entreprise Novello, une note spécifie :
Outre l'emprise du lavoir et des W.
C., il y a lieu d'acquérir le terrain nécessaire
1) au passage des voitures de
vidanges des W. C.. (le long du parement levant du lavoir)
2) à l'accès au lavoir ( A l’emport vers le chin de
G. C. n°27, du parement levant du lavoir)A noter que ce terrain sera
grevé de la servitude de passage à toutes fins. Pour le reste de la
parcelle n°1 appartenant au vendeur.
3) à la libre circulation du
personnel des Ponts et Chaussées pour toutes les nécessités du
service (Arrêté d’autorisation du 28 mai 1931.Article 1er)
Après bien des péripéties, les
laveuses de Betton pouvaient utiliser cette commodité à partir de
1932.
Le grincement des brouettes de
linge, le bruit des battoirs ont aujourd'hui disparu derrière le
ronronnement de nos lave-linge électriques. Les mains gonflées des
laveuses ne tordent plus les pièces de tissus. Le lavoir abandonné ne
résonne plus des discussions des femmes. Ce dur métier est mort ne le
regrettons pas. Gardons seulement le souvenir du lieu.
Groupe Archéologie et Patrimoine
du Festival de l'Ille
* Agent voyer : fonction
attribuée à une personne chargée de gérer les biens communaux.
Les Chemins de la Mémoire