Monarque absolu installé à Versailles depuis 1643,
en cette année de grâce 1701, Louis XIV aborde la dernière partie de
son règne. Le royaume de France, impliqué financièrement dans la
guerre de succession d’Espagne, prélève auprès du petit peuple des
campagnes des taxes de plus en plus lourdes. La famine de 1693-1694 n’a
pas encore fait oublier ses ravages et sa misère. Engourdi dans le
rythme séculaire des saisons, courbant l’échine, hommes, femmes,
enfants, travaillent. Betton s’active pour sa subsistance.
Veillant sur l’âme de ses 650 paroissiens, le
recteur Gaultraye, paraît ne pas trop se lamenter sur le sort de ses
ouailles. Il est vrai que la proximité de la capitale (Rennes)
permettant d’écouler quelques productions (cidre, produits laitiers,
volaille, etc...) assure à la communauté un petit confort économique.
Cette relation commerciale entretient un certain dynamisme agricole.
Pour rappeler aux hommes leur précarité, il y a
bien quelques miséreux, quelques accidents quelques morts parmi les
vieux et chez les très jeunes enfants, mais tout cela n’a rien d’anormal.
En fait, ici, on s’en sort plutôt bien !
La première alerte arrive en mai durant le mois de
Marie. Atteint de fièvre et d’une forte dysenterie, treize parmi les
plus faibles meurent en quelques jours. Pour la plupart se sont des
enfants et des vieillards. Devant l’incapacité à soigner une forte
inquiétude gagne la population.
Comme la période d’été semble apporter un répit
à cette agression, chacun rassuré à l’illusion d’avoir passé le
mauvais moment. La campagne et le petit bourg retournent vers une
certaine quiétude. Et puis les moissons qui arrivent accaparent les
esprits. Si on en parle encore à la veillée c’est pour évoquer un
moment définitivement révolu.
Mais, à partir de mi septembre, plus sournois, le
mal reprend avec une vigueur stupéfiante. Trente sept personnes vont
être inhumées, dont vingt et une durant les cinq derniers jours de ce
sinistre mois. Puis octobre voit l’épidémie atteindre son paroxysme.
Cinquante décès sont inscrits sur les registres paroissiaux. Cette
fois c’est une malédiction, un maléfice ou une punition divine. On
se recueil, on dit des messes, mais rien n’y fait, le mal est là.
Enfin le mois de novembre apporte un peu d’espoir. Ils sont onze
seulement ’’à passer’’. En décembre leur nombre se réduit
encore. Puis le fléau s’éloigne doucement. Quelques uns atteints et
’’miraculés’’ en sortent encore tout affaiblis.
A Betton ’’la faucheuse’’ a ratissé large,
surtout dans la tranche d’âge de 2 à 14 ans qui a dû céder 46
enfants.
Pour cette seule année 1701, le cimetière a vu 102
nouvelles tombes alors que la mortalité moyenne pour la paroisse se
situait habituellement entre 16 et 24 décès pour les plus mauvaises
années. C’est presque un sixième de la population qui a disparu.
Mais l’instinct de survie, le courage et la volonté parviendront à
replacer la petite communauté sur les chemins de l’espoir.
Les Chemins de la Mémoire